18/11/2022
Entretiens Travaux

Rencontre avec l'architecte Gilles Béguin dans le cadre de la réhabilitation de la Fondation Avicenne

Voir les photos
Chambre témoin

Depuis 2007, la Fondation Avicenne ne pouvait plus loger aucun étudiant en raison de sa vétusté. Fin 2019, les travaux de réhabilitation ont enfin pu démarrer et la maison entamer sa mutation. 

En 2006, un colloque international organisé à l’initiative de la Cité internationale, avait permis de réunir des experts autour des problématiques de réhabilitation des édifices métalliques emblématiques du XXe siècle. A cette occasion, Claude Parent, concepteur de ce bâtiment (avec André Bloc, Moshen Foroughi et Heydar Ghiai), Gilles Beguin, architecte chargé du projet de réhabilitation et la Cité internationale, maître d’ouvrage, avaient échangé sur les contraintes du bâtiment et proposé des pistes de réhabilitation.

L’année suivante, simultanément à sa fermeture, la Fondation Avicenne était inscrite à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques. Ainsi, le bâtiment, bien connu sous son nom initial de Maison de l’Iran, fait désormais partie des cinq bâtiments protégés de la Cité internationale.

Depuis, l’agence Beguin et Macchini a affiné son projet, non sans difficultés, puisque l’enveloppe du bâtiment a dû être repensée avec de nouveaux matériaux, plus performants sur les plans thermique et acoustique, tout en conservant son esthétique d’origine. L’amiante contenue dans les panneaux de façade aura nécessiter un déshabillage complet du bâtiment. La réhabilitation est aujourd’hui à mi parcours et les entreprises s’activent à la restructuration complète des espaces de chambres transformés. Le programme de la RIVP prévoit d’aménager 111 logements équipés de kitchenettes et sanitaires privatifs, augmentant ainsi la capacité d’accueil du bâtiment, qui comprenait à son ouverture 96 logements.

Gilles Béguin, qui a de nombreuses réhabilitations à son palmarès, dont la restructuration de la piscine d’Aubervilliers de Jacques Kalisz et Jean Perrottet, ou plus récemment d’immeubles de logements, nous explique les grands principes qui guident cette réhabilitation :

Quel lien entretenez-vous avec ce bâtiment ?

Je parlerais aujourd’hui de lien de « compagnonnage ». Depuis 15 ans nous travaillons ce projet, avec toute l’équipe et la Cité internationale – ce qui nous a permis d’approfondir notre connaissance du bâtiment et le connaître de façon plus intime. C’est un bâtiment qui ne se dévoile pas au premier abord, nous mettant face à son côté monumental (il culmine à 38 m de hauteur) – et quasi énigmatique côté ouest, vu depuis le boulevard périphérique. Si la macro-structure des 3 grands portiques est clairement exprimée, toute une partie de sa structure assurant sa stabilité est cachée et il nous a fallu la découvrir.

Comment avez-vous affiné votre connaissance du bâtiment ?

Tout d’abord les nombreuses visites et investigations menées avec nos ingénieurs et bureaux spécialisés qui ont analysé la structure, les fondations, la nature et résistance des matériaux de façon à obtenir un véritable bulletin de santé du bâtiment.

Nous avons pu avoir accès ensuite aux documents archivés à la DRAC d’Orléans comprenant photos, plans de conception et d’exécution, lettres et comptes-rendus qui nous ont permis de reconstituer la naissance et la vie de ce bâtiment, puis de le redessiner complètement. Ici, l’architecte devient détective, pour comprendre ce qui s’est passé. Cette phase de diagnostic est fondamentale pour tout le développement du projet de réhabilitation.

J’ai eu la chance enfin de travailler chez Claude Parent et de le rencontrer régulièrement tout au long du développement du projet, me permettant d’affiner ma vision de cette architecture très puissante et originale.

En quoi consiste votre intervention actuelle ?

Le bâtiment reste un foyer de logements pour étudiants ou chercheurs, mais avec un niveau de confort très différent de l’existant. Chacun des 111 studios sera équipé d’une salle d’eau et d’une kitchenette ; les façades sont entièrement refaites apportant isolation thermique et acoustique. L’objectif est d’améliorer sa protection vis-à-vis de l’incendie, la qualité de l’air intérieur par un système de ventilation double-flux, et d’économiser l’énergie en réduisant très fortement les dépenses de chauffage.

Quelles contraintes patrimoniales devez-vous prendre en compte ?

Le bâtiment est inscrit aux Monuments historiques, et la contrainte première est de ne pas modifier l’aspect de ses façades, tant au niveau des matériaux, teintes et matité, que de l’épaisseur des faces vues des profilés métalliques et des châssis vitrés.

La DRAC nous a demandé d’autre part de conserver dans l’aménagement des studios, les cloisons « obliques », qui confèrent une grande dynamique à l’espace intérieur de la pièce à vivre, ouverte sur le paysage.

Un soin est apporté au mobilier, dont les pièces les plus intéressantes vont être replacées dans le projet, au niveau du hall d’entrée qui joue un rôle central dans le projet, à la fois hall d’accueil, et de rencontre – ainsi qu’au niveau R+5 (ex-logement du directeur) où les meubles une fois restaurés vont être réintégrés dans leur disposition de l’époque. Comme dans tous les projets de la Cité, une chambre historique sera reconstituée au plus près de son aspect d’origine

Sur le plan structurel, comment se comporte le bâtiment ?

La structure du bâtiment est très originale, puisque les 2 blocs de 4 niveaux de chambres sont suspendus à une structure principale, constituée de 3 grands portiques en poutre- caissons encastrés en pied, et de 2 grilles de poutres horizontales sur lesquelles viennent s’accrocher les suspentes. L’esthétique du projet joue sur l’élasticité du métal qui travaille très bien à la traction, et sur la rigidité des planchers dans le plan horizontal. L’effet de suspension est accentué par le vide ménagé entre les portiques et le plan des façades- les effets du vent étant repris par des butons très discrets au niveau R+1 et R+6.Au premier coup d’œil, difficile de comprendre « comment ça tient » – laissant tout loisir de découvrir cette sculpture habitée dans le ciel

Quelle était la première étape de cette réhabilitation ?

La première étape du projet consistait à décontaminer le bâtiment, puisque comme la plupart des bâtiments de cette époque, il comportait beaucoup d’amiante et de plomb. Il n’a pas été possible de conserver les panneaux pleins de façades car ceux-ci sont composés de fibro-ciment contenant de l’amiante. Nous avons donc mis à nu le squelette du bâtiment, en le débarrassant de toutes les matières dangereuses pour la santé.

Comment restituez-vous l’esthétique d’origine tout en changeant les matériaux de façade ?

Notre ingénieur façade Jean Franz Katzwedel a dessiné des détails permettant la mise en œuvre de plaque pleine de béton fibré, mais aujourd’hui sans amiante. Pour la teinte, nous avons prévu des prototype et essais que nous présenterons à la DRAC. Pour les parties vitrées, une recherche a été mené avec les fabricants de profils pour préserver les faces vues en aluminium ou en acier peint, ainsi que les proportions des clairs de vitrage, tout en respectant les contraintes d’isolation acoustiques et thermiques exigées par les performances à atteindre.

Comment gérez-vous la proximité du boulevard périphérique sur le plan acoustique ?

L’acousticien qui nous accompagne sur le projet, le BET GAMBA a mené au démarrage une campagne de relevé des niveaux acoustiques liés à la circulation du boulevard périphérique qui sont très élevés, de jour comme de nuit. Il a travaillé de concert avec l’ingénieur façade pour calculer et définir les complexes composant les nouvelles façades. Ici aussi, nous avons prévu des tests et prototypes en phase préparatoires pour vérifier in situ nos hypothèses.

Pouvez-vous nous décrire le programme ?

Le programme comprend 111 studios à raison de 13 studios par niveaux courants, soit 104 unités et 7 studios particuliers au niveau R+5 que nous avons reconfiguré. Au niveau courant, les 2 trames centrales existantes affectées à la cuisine et aux sanitaires collectifs sont transformés en un studio plus vaste pour couple.

Au RDC, le hall est réaménagé dans sa configuration d’origine puisque le Centre du patrimoine est parti à la Maison internationale, et la grande salle contigüe aménagée en salle de co-meeting.
Au sous-sol, sont conservés les espaces existants de détente et de travail, ainsi que les locaux techniques et de services (laverie notamment).

Comment évolue l’espace de la chambre ?

Nous avons cherché à rester le plus fidèle possible à l’organisation d’origine, qui prévoyait un espace toilette et un dressing assez généreux où nous avons pu implanter une cabine salle d’eau. Le couloir d’accès est décalé, permettant d’installer une kitchenette ainsi qu’un placard de rangement – mais tout en préservant à la demande de la DRAC, la dynamique du biais de la cloison de la circulation et de la tête de lit. Nous avons aussi conservé le range-valise situé au-dessus de l’entrée.

Allez-vous restituer une chambre témoin ?

Oui absolument, une chambre au 1er étage au fond de la circulation a été aménagée au plus proche de l’existant, avec du mobilier restauré.

Comment traitez-vous les abords du bâtiment ?

Les abords sont inscrits au Monuments historiques de même que les façades. Nous nous sommes plongés dans les comptes-rendus de chantier archivés à Roubaix (archives du monde du travail), et avons pu retrouver les intentions paysagères du projet qui cherchait à s’intégrer dans la continuité de l’aménagement du parc de la Cité internationale. Avec Pierre Grelier, qui m’a aidé pour le parti paysager, nous avons cherché à retrouver la simplicité de l’épure initiale pour mettre en valeur la dynamique spatiale du bâtiment et retrouver notamment le jeu des vides et transparences sous la masse du bâti suspendu.

L’enseigne publicitaire a-t-elle être retirée de manière définitive ?

Oui absolument, et c’est une condition imposée par la DRAC.

Quelle serait votre plus grande satisfaction à l’issue de cette réhabilitation ?

D’avoir été le plus fidèle à l’œuvre des architectes qui ont réalisé ce bâtiment, tout en apportant confort et plaisir d’habiter un bâtiment d’exception aux futurs résidents. Pour ma 1ère année d’études, j’ai eu la chance d’habiter dans un foyer d’étudiant historique, et j’en garde toujours un souvenir très particulier, de sensations et d’expériences nouvelles, de rencontres de cultures  et d’horizons différents – Ici, quelle chance d’habiter un bâtiment unique suspendu dans les airs. 

Les acteurs du projet

Cette réhabilitation est financée par la RIVP, avec des subventions de la Ville de Paris et de la Drac Île-de-France, au titre du patrimoine inscrit à l’Inventaire des Monuments historiques. La maîtrise d’ouvrage a été confiée à la régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP) et la maîtrise d’œuvre à l’agence Beguin & Macchini.

Partager