27/04/2023
Entretiens Nos résidents Fondation Deutsch de la Meurthe

L'égalité du droit de résider à la Cité internationale quelle que soit son origine est précieuse

Théophile Busto

Théophile Busto, résident à la Fondation Deutsch de la Meurthe, nous livre son point de vue sur son parcours, la Cité internationale et ses projets.

Peux-tu nous raconter ton parcours et ton arrivée à la Cité internationale ?

Mon arrivée s’est faite un peu par hasard… Alors élève ingénieur agronome, j’ai rejoint pour ma cinquième et dernière année la spécialité SPES (Sciences Politique, Ecologie et Stratégie) d’AgroParisTech qui était dispensée – à l’époque – au centre « Claude Bernard » dans le Ve arrondissement (bâtiment désormais vendu, un crève-cœur pour les étudiants !). J’ai alors demandé à résider au sein de la maison d’AgroParisTech à la Cité internationale : la Maison internationale AgroParisTech (MINA).

À mon arrivée à la Cité, je revenais tout juste d’une année d’aventures en Amérique latine, en forêt amazonienne notamment. Le retour à Paris fut – pour ainsi dire – brutal. Il est bien rude de passer d’une atmosphère exotique, itinérante et insouciante à l’ambiance studieuse, sédentaire et citadine d’une année diplômante à Paris.

Alors après six mois de cours tout à la fois passionnants et éprouvants, la fièvre du voyage m’appelait de nouveau. J’avais été sélectionné pour un stage de fin d’études à l’Ambassade de France en Côte d’Ivoire, à Abidjan. Mais le Covid-19 en a décidé autrement : à quelques jours du départ, le voyage fut annulé. Concentré sur l’école, je n’avais alors que très peu profité de la Cité internationale. J’ai donc laissé de côté ma soif « d’ailleurs » pour succomber à la douceur d’ici. Je me suis alors progressivement enraciné dans cet écosystème… Jusqu’à y être encore actuellement ! Comme quoi, l’ailleurs n’est pas toujours synonyme de lointain…

Qu’est ce qui t’a motivé à intégrer la Cité internationale ?

Mon domicile familial se situe en Essonne. À vol d’oiseau, il doit y avoir une trentaine de kilomètres. Cela pourrait paraître étrange qu’un francilien réside ici. Mais il faut compter entre 1 h 30 et 2 h 30 pour gagner ma commune en transports en commun. On se rendrait presque plus rapidement à Londres ! Il faut pour cela prendre le tram, le RER C, puis le D : un vrai parcours du combattant. Sans compter l’accès à la culture, que je considère crucial pour l’épanouissement d’un étudiant qui se construit, intellectuellement et humainement. Cette richesse culturelle se déploie si abondamment à Paris, et tout particulièrement à la Cité internationale, quand elle se fait malheureusement bien plus rare chez moi en Essonne, dans ce que l’on a coutume d’appeler la « banlieue ». L’universalité prônée par la Cité doit permettre la venue d’un étudiant de Patagonie comme celle d’un francilien né en grande couronne. Cette égalité du droit d’y résider quelle que soit son origine est précieuse. Elle garantit la « socio-diversité » de la Cité internationale pas seulement en termes de nations, mais aussi de classes sociales, de milieux géographiques (urbain, périurbain, rural), d’horizons culturels, de parcours de vie, etc. C’est ainsi que la Cité internationale peut faire honneur à son ambition utopique comme à son « ADN » originel, qui intimait – entre les lignes – de dépasser à la fois les inégalités sociales et les cloisonnements qu’on retrouve ailleurs dans la société.

Quels sont tes projets et objectifs futurs ?

Parce que « small is beautiful », parlons d’abord d’un projet que je mène à l’échelle de la Cité internationale, avec deux ami·e·s et toute une équipe de résident·e·s bénévoles. Connaissez-vous « Cité Book’In » ? Peut-être pas encore, mais j’espère que vous en entendrez très vite parler ! Nous allons construire une « boîte à livres » au sein de la Maison internationale. Nous avons eu la chance d’obtenir un financement par le Fonds des initiatives résidentes (FIR), ce qui va nous permettre d’enclencher le projet. L’objectif est simple : proposer à tous les résident·e·s, gratuitement, une sélection de livres provenant d’une myriade de pays. L’idée est de « faire voyager » et distiller le goût de cultures venues d’ailleurs : par le récit fictif, le roman, l’histoire, la photographie, etc. Peu importe le genre littéraire, pourvu qu’on ait le dépaysement ! Cette petite bibliothèque, qui à terme pourra être « ambulante », satisfera les appétits des petits curieux affamés de littérature du monde. L’idée est aussi évidemment liée à la sobriété : le monde des livres n’est pas exempt de tout reproche (surproduction permanente de 25 % en moyenne en France, voir le rapport WWF de 2019). Ici, nous souhaitons « redonner vie » à des livres abandonnés ou destinés à être jetés. Et bien sûr, créer du lien, que ces livres circulent entre les résident·e·s et provoquent, pourquoi pas, des rencontres littéraires.

Sinon, plus personnellement, j’espère amorcer en septembre prochain une thèse sur l’étude des relations entre humains, sangliers et lynx dans un parc national. Mon intérêt pour les pratiques de protection de la nature et ma volonté de les interroger à la lumière de différentes sciences m’ont conduit à passer des sciences du vivant aux sciences humaines et sociales. Aujourd’hui, j’étudie principalement l’anthropologie de la nature à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales. L’anthropologie comme l’écologie sont deux sciences de la diversité : pour la première des façons de vivre, pour la seconde des formes de vie sur Terre. Ces disciplines ressemblent un peu à la Cité internationale : elles donnent à voir une multitude de façons d’appréhender le monde et de le vivre ; elles sont donc précieuses pour se donner des clefs afin de le repenser. Je m’inscris pleinement dans cette ambition !

Penses-tu que ton séjour à la Cité internationale soit un tremplin pour ton avenir ?

Je ne parlerais pas forcément de tremplin mais plutôt d’inscription au cœur de ma vie, ce qui est plus intime, plus fort et peut-être moins « utilitariste ». Car jamais je n’aurais imaginé y vivre tant d’aventures. La Cité internationale n’est pas un lieu de résidence : c’est tout un écosystème. Désormais, la Cité  fait partie de moi, de mon histoire, comme je fais (un peu) partie d’elle. Je me souviendrais toute ma vie de ces années ! Comme disait le poète Paul Guth qui y a résidé, « passer du lycée Louis le Grand à la Cité Universitaire, c’était s’évader d’une prison de Piranèse pour s’ébattre parmi les fleurs de I’Éden ». J’ai ressenti à peu près la même chose entre la classe préparatoire et la Cité internationale.

En tout cas, la Cité  m’a fait mûrir en tant que jeune citoyen : elle offre des conditions propices pour s’engager facilement. Tout·e résident·e peut y faire de la politique et ainsi renouer avec le sens originel de ce terme : « s’occuper des affaires de la Cité ». On peut y mener des projets à l’échelle d’une communauté et cet engagement nous est bien souvent rendu en bonheur. Je me souviens de sourires si radieux après les évènements organisés en tant que Comité ! La Cité internationale offre un contre-récit politique « incarné » et contraste avec le mode vie urbain dominant, marqué par un enfermement croissant, par une atomisation des individus, de plus en plus confinés dans des « techno-cocons » et parfois isolés par le télétravail. Elle est inspirante, et même précieuse pour quiconque souhaite se donner de l’espoir et envisager d’autres modes d’existence sociale. La Cité internationale est un petit village où l’on croise son voisin et où l’on prend le temps de discuter devant son palier. Pour le reste, difficile de prédire la suite…Mais j’aime à dire que l’avenir n’est pas ce qui va advenir, mais ce que nous allons faire.

Si tu devais résumer la Cité internationale en un mot, lequel choisirais-tu ?

Cela pourrait vous paraître surprenant mais, à défaut de choisir un principe comme l’universalité ou une caractéristique comme la diversité… Je choisirais le mot « Crous ». Ce lieu est un condensé de ce qui se trame à la Cité internationale : à la fois dans ses qualités et dans ses enjeux. C’est le cœur battant de la Cité. Le cœur géographique, car il est situé en plein centre, au sein de la Maison internationale. Le cœur physiologique, car de nombreux étudiants viennent s’y recharger en énergie avant de repartir vaquer à leurs occupations. Enfin, le cœur relationnel, car s’y nouent des rencontres estudiantines impromptues et parfois éternelles !

Cet espace permet aux étudiant·e·s de se nourrir, pour une modique somme. En cela, le Crous « visibilise » certains enjeux fondamentaux qui se jouent ici. Car ce serait dresser un tableau irréaliste que de ne pas les mentionner. Oui, la précarité étudiante existe ici : elle est malheureusement une réalité inquiétante, partout en France (voir l’édition 2022 de l’étude sociologique « Précarités étudiantes : deux ans après, rien n’a changé » menée par l’association Linkee et ses chiffres sans appel). Aussi, pendant le Covid, le Crous de la Cité internationale s’est vu fermé en tant qu’espace de rencontres. Il fut alors le symbole d’un enfermement général, qui a lourdement éprouvé la communauté étudiante. Mais malgré sa fermeture, le Crous fonctionnait toujours : il abritait malgré tout de petites mains qui préparaient précautionneusement des plats « à emporter ».

Car oui, choisir le Crous est aussi pour moi un moyen de rendre hommage à celles et ceux « de l’invisible » à la Cité internationale : celles et ceux qu’on ne voit pas forcément, mais qui traversent parfois toute l’Île-de-France pour venir travailler ici. Celles et ceux qui s’affairent dès 6 h du matin pour notre confort. C’est grâce à eux que la Cité internationale est si vivante. Je pense aux femmes et aux hommes de ménage, aux techniciens, aux jardiniers, et pour notre mot sélectionné : aux employés du Crous. Ils méritent que leur travail soit mieux reconnu : à la fois financièrement et symboliquement. Cette Cité internationale de « l’ombre » se fait discrète, mais sans elle, rien ici ne serait possible. Ces personnes ne sont aucunement étrangères au rayonnement de la Cité internationale : elles en sont même des artisanes incontestables voire peut-être… Les vrai·e·s héro·ïne·s !

Théophile Busto
Fondation Deutsch de la Meurthe

DES RÉSIDENTS ENGAGÉS

Les résidents sur le campus sont très engagés. Ils sont invités à s’investir dans la gouvernance, la vie collective et le développement du campus et mènent de nombreux projets participatifs. Pour construire un avenir commun, ils s’engagent sur les grands enjeux du monde contemporain en bénéficiant des échanges et des rencontres qu’ils font dans leurs maisons et sur le campus. 

Un laboratoire d’idées

Laboratoire d’idées et de création pour penser le monde de demain, la Cité internationale occupe une place singulière dans le paysage culturel parisien comme lieu de vie de la jeunesse internationale. Projets artistiques et écologiques collaboratifs foisonnent sur le campus.

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